Intuition, engagements, et décisions d’équipe ; Antoine Hraoui, PDG d’Intalio, évoque les processus de prise de décision en temps de crise. Pour cette interview exclusive, nous avons rencontré notre PDG pour échanger autour du processus de prise de décision, des acteurs clés et des outils de décision.
Ci-après l’interview complète :
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Quelles procédures suivez-vous pour prendre une décision ?
Quand je ne prends pas de décisions, la vie décide pour moi.
De nombreuses mauvaises décisions sont prises parce que les objectifs ne sont pas clairement identifiés au départ. Par conséquent, la première étape de la prise de décision consiste à définir clairement la nature de la décision.
Une fois la nature de la décision clairement énoncée, il convient de recueillir les informations pertinentes. Le processus de collecte d’informations peut être simple ou assez compliqué en fonction de la complexité des objectifs. Un processus de collecte d’informations structurées liées à chaque objectif doit être réalisé en utilisant des ressources internes et externes.
Enfin, la collecte d’informations permettra de dégager naturellement diverses possibilités. En pesant soigneusement chacune d’entre elles à l’aide d’un raisonnement objectif, on parviendra à la bonne.
L’erreur est humaine. Néanmoins, une décision n’est guère irréversible et il disposer toujours d’un plan de repli. -
Quelle approche utilisez-vous le plus souvent (intuition, rationalité, …) ?
Sans intuition, la vie est ennuyante.
Mon objectif est de prendre des décisions, de manière consciente, qui reposent sur un processus bien défini et rationnel. Je reconnais avoir souvent tendance à oublier les faits et à suivre mon instinct, même si cela va à l’encontre de la raison.
Les intuitions les plus pures sont généralement justes. Avoir recours à une prise de décision centrée sur l’intuition transforme un processus émotionnel en un processus plus scientifique où les intuitions sont évaluées pour faire place à la bonne décision. -
Êtes-vous déjà tombé dans le piège de l’escalade de l’engagement ? Si oui, comment avez-vous géré le retour d’information et pensez-vous que vous auriez pu le gérer différemment ?
Comme je l’ai déjà évoqué dans la première question, j’ai toujours un plan de repli et j’examine les conséquences pour décider si je continue sur la même voie ou je modifie la trajectoire. Pourtant, la détermination fait partie de la nature humaine. Il arrive que je « décide » de faire face à des résultats négatifs par un entêtement que je confonds avec la détermination. Cependant, je finis toujours, parfois avec un tantinet retard (mieux vaut tard que jamais), par revoir mes données et mes alternatives pour changer le cours des choses.
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Combien de fois basez-vous vos décisions sur l’intuition ?
Je pourrai vous répondre toujours et jamais à la fois. Un processus de prise de décision n’est jamais exclusivement basé sur la raison ou l’intuition. Il s’agit d’une synthèse entre le raisonnement rationnel et l’intuition éprouvée. Même les décisions qui paraissent centrées sur l’intuition, intègrent un certain raisonnement intangible – plutôt psychologique.
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Prenez-vous de meilleures décisions seul ou de manière collective ? Quand avez-vous recours à l’aide ?
Mon apport pèse beaucoup dans une décision, mais je ne décide jamais seul. Le processus de décision nécessite une aide, principalement dans les trois premières étapes :
• Définir clairement la nature d’une décision.
• Recueillir des informations sur chacun de ses objectifs.
• Identifier et évaluer les possibilités.
Décider et fixer le cours des actions est plus personnel. La contribution des collègues reste cependant importante. - Deux employés sont régulièrement en conflit et perturbent souvent l’équilibre de l’équipe. Comment géreriez-vous la situation ?
Tout dépend de la nature du conflit ainsi que de la position et des intentions des employés en question.
J’estime que les esprits conflictuels n’ont pas leur place parmi nous ; leurs actions quotidiennes perturbent non seulement l’équilibre de l’équipe mais sapent toute la stratégie du groupe. Néanmoins, une entreprise ne peut pas être exempte de conflits bien intentionnés. Un conflit bien géré finit par renforcer la motivation, améliorer la communication, ainsi que les performances individuelles et collectives.
Résoudre des conflits courants entre employés est généralement une tâche aisée. Montrer de l’empathie envers eux révèle mon souci de leur bien-être. Dédramatiser les conflits et désamorcer la tension lors des débats montrent la futilité des conflits et le professionnalisme des débats.
Les conflits réguliers et fréquents peuvent cacher des esprits conflictuels, ce qui nous ramène au point 1 ci-dessus. -
La contribution des employés est-elle importante à votre avis ?
La contribution des employés est institutionnalisée au sein de notre groupe. Nous avons mis en place plusieurs comités spécifiques aux secteurs d’activité, où un organe représentatif de divers secteurs, en fonction de leur position et de leur compétence, participe activement à la gouvernance du groupe. Ils rendent également systématiquement compte des résultats et des décisions aux salariés concernés. D’autres questions nécessitent la participation de tous les employés. Nous organisons quelques sondages afin de préserver l’implication des salariés.
La contribution des salariés et leur apport à la gouvernance du groupe permettent d’équilibrer le ratio capital/travail, d’améliorer le dialogue social et les performances durables de l’entreprise. -
Comment procédez-vous dans la prise de décision collective ? Quels sont ses avantages ?
Au sein de notre groupe, les décisions peuvent être prises par les individus seuls. Cependant, la plupart des décisions émanent d’un travail de groupe. Dans ce dernier cas, il existe trois différents modèles de prise de décision :
• Par accord : un groupe de salariés décide d’une certaine ligne de conduite, comme les horaires, la présence, etc.
• Par vote : en fonction de la nature du sujet, les décisions sont prises soit à la majorité des voix (c’est-à-dire pour celles liées à l’entreprise), soit à l’unanimité (c’est-à-dire pour les grands investissements).
• Par autorité : arbitrage du PDG avec les représentants des salariés.Les avantages de la prise de décision en groupe sont principalement les suivants :
• Quantité et qualité de l’information : les discussions interactives au sein du groupe augmentent la quantité et la nature des informations qui aideront à prendre la décision.
• Meilleure acceptation de la décision : une décision prise collectivement est mieux comprise et acceptée qu’une décision imposée unilatéralement.
• Un plus grand engagement vis-à-vis de la décision : les personnes associées à une décision adhèrent plus facilement aux actions ou aux changements qui en résultent.
Il y a cependant quelques inconvénients. -
Décrivez-nous quand avez-vous eu à prendre une décision immédiate concernant une décision cruciale.
L’acquisition d’une société en France a été une décision plutôt intuitive. Nous avons acquis une société française qui était sur le point d’être rachetée par un autre groupe ; elle semblait très complémentaire de notre activité et répondait à notre expansion géographique.
J’étais à l’étranger et j’ai eu quelques heures pour prendre une décision cruciale et risquée. J’ai réuni le conseil d’administration sur Zoom et j’ai demandé un vote unanime. Je n’ai pu partager que quelques informations, néanmoins, essentielles. J’ai plutôt expliqué que mon intuition me disait qu’il fallait foncer. J’ai cependant précisé que nous inclurons une clause qui nous permettra d’effectuer un audit post-acquisition avec des effets et des garanties similaires. J’ai réussi à obtenir l’engagement de tous et j’ai conclu l’opération. -
Quels sont les outils de décision que vous utilisez (théorie des probabilités, schéma décisionnel, date historique / informations secondaires, règle empirique) ?
Nous faisons la part des choses entre les techniques et les outils de décision. Les techniques sont généralement basées sur une analyse marginale ainsi que sur des diagrammes SWOT. Nous mettons en œuvre ces techniques en utilisant des outils d’analyse de l’information et de gouvernance que nous avons développés en interne (et que nous distribuons effectivement), ainsi que des rapports opérationnels et financiers réguliers.
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Comment les préjugés affectent-ils vos décisions et leurs résultats ?
Un préjugé modifie nos choix et nous pousse à prendre de mauvaises décisions. Suis-je inquiet ? Si je réponds « non », alors je suis clairement victime d’un préjugé d’excès de confiance.
Les préjugés les plus courants auxquels je suis régulièrement confronté sont la confiance en soi, la confiance excessive en quelques ressources proches et l’utilisation excessive de l’intuition et des émotions. Ils affectent mes décisions et, par conséquent, leurs résultatsP